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VIE ET ŒUVRE

fraîche, quelqu’un ramena un prêtre, et les prières commencèrent. Le lendemain, la foule encore grossie recommença à prier sur la tombe de Chibounine, il fallut l’en chasser de force, et placer des factionnaires pour en interdire l’accès.

On peut s’imaginer ce qui se passa dans l’âme de Tolstoï devant cet acte cruel commis sous ses yeux. Aussitôt après l’arrêt, il usa de toute son influence pour empêcher l’exécution. Il télégraphia à sa tante, la comtesse A. A. Tolstoï, dame d’honneur de l’Impératrice, la priant d’intervenir près du ministre de la Guerre. Elle fit cette démarche qui, malheureusement, resta infructueuse.

Le lecteur qui connaît et comprend Tolstoï doit éprouver quelque déception en voyant le rôle terne qu’il joua en cette affaire. C’est du moins le sentiment que j’éprouvai après la lecture des matériaux dont je disposais. Connaissant l’opinion de Tolstoï sur la peine de mort, je lui demandai de me dire ce qu’il pensait actuellement de sa participation dans la défense du soldat Chibounine. Tolstoï, avec sa franchise coutumière, s’est remémoré cet événement, a vécu de nouveau tous les sentiments qui l’émotionnaient alors et l’émotionnent toujours à l’idée de ce crime et me les a exposés sous forme de lettre.

Voici cette lettre :

« Iasnaia Poliana, 24 juin 1908.

« Cher ami Pavel Ivanovitch,

« Je suis très heureux d’accéder à votre désir et de vous exposer en détail ce que je sentis et pensai lorsque je défendis le soldat Chibounine. Ce cas a eu sur ma vie beaucoup plus d’influence que tous les événements que l’on juge importants : perte ou