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VIE ET ŒUVRE

portance du crime qu’il a commis ni ses conséquences.

« Chibounine, fils d’artisans aisés, fut mis en apprentissage chez un « Allemand », comme il le dit, puis on l’envoya à l’école des arts industriels. Y fut-il bon élève, nous l’ignorons, en tout cas ses études ne le firent pas exempter du service militaire. En 1855, il entra au service. Peu de temps après, comme l’indique son livret militaire, il s’enfuit du régiment sans savoir où et pourquoi, et y retourna de lui-même. Plusieurs années s’écoulent. Chibounine est promu caporal, probablement parce qu’il sait écrire, et il est attaché au service du bureau. Peu après sa punition, Chibounine, tout d’un coup, sans aucune raison, commet un acte absolument inexplicable qui entraîne la privation de son grade : il vole à l’un de ses camarades non pas de l’argent, ni un objet précieux, ni quelque objet facile à dissimuler, mais un uniforme, un sabre et du bois. Ces actes ne me semblent pas indiquer un esprit normal. L’accusé n’a ni goûts ni passions. Rien ne l’intéresse. S’il a des loisirs et de l’argent, il boit de l’eau-de-vie, non pas en compagnie de camarades, mais seul, comme le mentionne l’acte d’accusation lui-même. Il contracte cette habitude dès la deuxième année de son service, et il en arrive à pouvoir absorber deux bouteilles d’eau-de-vie, par jour, sans être plus animé ou plus gai qu’à jeun ; son besoin d’activité devient seulement plus grand alors que s’amoindrit sa capacité de prévoir. Il y a deux mois, Chibounine passa au régiment de Moscou en qualité de scribe dans la deuxième compagnie. Là, son état mental empire de jour en jour. Il