Page:Biriukov - Léon Tolstoï, vie et oeuvre 2.djvu/98

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
82
LÉON TOLSTOÏ

pour son travail dont vous avez joui. Et vous, avec un sourire froid, du haut de vos brillants palais, vous l’observiez, comme un phénomène, et parmi des centaines d’entre vous, heureux et riches, il ne s’en trouvait pas un, pas une, qui lui jetât quelque chose ! Honteux il s’éloignait de vous, et la foule insensée, avec des rires, persécutait et injuriait… non pas vous, mais lui, parce que vous étiez froids, cruels et malhonnêtes, parce que vous lui aviez volé le plaisir qu’il vous offrait ; pour cela on l’injuriait.

« Ce sept juillet 1857, à Lucerne, devant l’hôtel Schweizerhof, où habitent des gens riches, un musicien ambulant chanta pendant une demi-heure et joua de la guitare. Près de cent personnes l’écoutaient. Le chanteur demanda trois fois à la foule de lui donner quelque chose, pas un seul ne lui donna et beaucoup se moquèrent de lui.

« Ce n’est pas une invention, c’est un fait certain que peuvent vérifier ceux qui le désirent près des hôtes de Schweizerhof, en cherchant dans les journaux quels étrangers occupaient l’hôtel, le 7 juillet.

« Voilà un fait que les historiens de notre époque doivent écrire en lettres brûlantes, indélébiles[1]. »

Et de son âme s’élance un cri d’étonnement devant l’incompréhension de tout cet enchaînement chao-

  1. Œuvres complètes du comte L.-N. Tolstoï. Éditeur P.-V. Stock. Du Journal du prince Nekhludov, tome v, p. 181.