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LÉON TOLSTOÏ

daté de 1857, c’est pourquoi il doit se rapporter à ce voyage.

Dans ce récit, comme on le sait, la merveilleuse description de la nature suisse alterne avec l’expression de l’indignation provoquée par la déformation de cette harmonie naturelle faite pour complaire aux riches touristes, la plupart anglais.

Le contraste entre la correction morne de la table d’hôte et la beauté sauvage, mais tendre et vivante du lac, frappe l’auteur. Et ce sentiment grandit quand il entend le couplet du chanteur ambulant qui s’accompagne de la guitare. Cette chanson, par une magie quelconque, attire l’attention générale et élève l’âme à l’unisson de cette harmonie inexprimable.

« Toutes les impressions de la vie, tout à coup, prirent pour moi un sens et un charme particuliers. Dans mon âme, une fleur fraîche, parfumée, parut s’épanouir. Au lieu de la fatigue, de la distraction, de l’indifférence pour tout au monde que j’éprouvais un moment avant, je sentais tout à coup le besoin de l’amour, le plaisir de l’espoir, la joie irraisonnée de vivre. « Que vouloir ? que désirer ? » me dis-je involontairement. « Regarde, la beauté et la poésie t’environnent de toutes parts. Respire-les à pleine poitrine, jouis-en autant que tu le pourras. Que te faut-il encore ? Tout est à toi, tout est bien…[1]. »

  1. Œuvres complètes du comte L.-N. Tolstoï, P.-V. Stock, éditeur. Du Journal du prince Nekhludov, tome v, p. 156.