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VIE ET ŒUVRE

« À peine avais-je eu le temps de m’orienter que j’avais déjà adopté les opinions de coterie littéraire de ces gens avec qui je m’étais lié et elles effaçaient en moi complètement toutes mes anciennes tentatives de devenir meilleur. Ces opinions me donnaient le moyen de justifier la dépravation de ma vie.

« La représentation de la vie de ces hommes, mes camarades des lettres, était celle-ci : la vie, en général, marche en se développant, et ce développement est dû principalement à nous, les hommes de la pensée, et, parmi ceux-ci, l’influence principale revient à nous, artistes et poètes. Notre vocation est d’instruire les hommes. Et afin de ne pas se poser cette question naturelle : Que suis-je et que dois-je enseigner ? cette théorie expliquait qu’il n’est pas besoin pour cela de savoir, mais que l’artiste et le poète enseignent inconsciemment. J’étais regardé comme un merveilleux artiste et poète, c’est pourquoi il m’était très naturel d’accepter cette théorie. Moi, artiste et poète, j’ai écrit et enseigné ne sachant moi-même quoi. On m’a payé pour cela. J’étais bien nourri, bien logé ; j’ai eu des femmes, des relations, de la gloire. Alors ce que j’enseignais était très bien. Cette foi en l’importance de la poésie et au développement de la vie c’était une religion. J’en étais un des pontifes.

« Être ce pontife, c’était bien agréable et avantageux. Et assez longtemps je vécus dans cette religion, sans douter de sa vérité. Mais la deuxième année, et surtout la troisième année d’une vie pa-