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LÉON TOLSTOÏ

« Après notre sortie de l’Université je le perdis de vue. Je sais qu’il menait la même vie austère, et que jusqu’à l’âge de vingt-six ans il ne connut ni le vin, ni le tabac, ni les femmes, ce qui en ce temps était très rare. Je sais qu’il se liait d’amitié avec des moines et des pèlerins et qu’il devint l’intime d’un homme très original, dont personne ne connaissait l’origine, qui vivait chez notre tuteur, Voiéikov. On l’appelait le Père Luc. Il portait le froc, était très laid, de petite taille, borgne, noir, mais très propre et extraordinairement robuste. Quand il vous prenait la main il la serrait comme avec des tenailles, et il parlait toujours avec importance. Il vivait chez Voiéikov, près du moulin où il s’était construit une petite maison et avait un jardin extraordinaire. C’est ce Père Luc que Mitenka emmena avec lui. J’ai entendu dire aussi qu’il fréquentait un vieillard du bon vieux temps, un propriétaire voisin, Samoïlov.

« Je crois que j’étais au Caucase quand il se fit en Mitenka un changement extraordinaire. Tout d’un coup il se mit à boire, à fumer, à dépenser de l’argent, à fréquenter les femmes. Comment cela est-il arrivé, je ne le sais pas au juste, car je ne l’ai pas vu à cette époque. Je sais seulement que son corrupteur fut un homme d’un extérieur très attirant, mais profondément immoral, le cadet des Isléniev. Je reparlerai de lui plus tard, si j’en ai le temps.

« Et dans cette vie il était le même homme reli-