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LÉON TOLSTOÏ

triomphe arriva : la retraite. — « Quand il sortit de Moscou, Koutouzov le poursuivit et commença à le battre », dis-je. — « À le rosser », me corrigea Fedka qui, tout rouge, était assis en face de moi et, d’émotion, tortillait ses doigts menus et noirs : c’était son habitude. Aussitôt toute la classe éclata d’un enthousiasme fébrile. Derrière, quelqu’un poussa un petit gamin et personne n’y fit attention. — « Ah ! ça c’est mieux !» — « En voilà des chefs ! » etc. Et je continuai à raconter comment nous avions chassé les Français. Les élèves avaient de la peine à entendre que quelqu’un était arrivé en retard sur la Bérésina et avait laissé échapper les Français. Petka s’écria : — « Je l’aurais fusillé ! Pourquoi était-il en retard ! » Ensuite nous nous sommes apitoyés un peu sur les Français gelés, puis nous avons franchi la frontière, et les Allemands qui étaient contre nous sont devenus nos alliés. Quelqu’un se souvint de l’Allemand qui était dans la classe. — « Ah ! vous êtes comme ça ! Quand nous sommes faibles vous êtes contre nous et quand nous sommes forts vous êtes avec nous ! » Et, tout d’un coup, tous se levèrent et se mirent à conspuer l’Allemand, si fort qu’on l’entendait de la rue. Quand ils s’apaisèrent, je continuai à narrer comment nous avions accompagné Napoléon jusqu’à Paris et y avions replacé le vrai roi ; quel triomphe, quelles fêtes nous eûmes, et, seul, le souvenir de la guerre de Crimée gâta toute l’affaire. — « Attends ! Je serai grand et je leur montrerai… »