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VIE ET ŒUVRE

« — Oui.

« — Alors, il faut imprimer : l’œuvre de Makharov, Morosov et Tolstoï ?

« Longtemps il fut ému et ne put s’endormir.

« Et je ne puis rendre le sentiment d’émotion, de joie, de crainte, et presque de remords que j’éprouvai cette soirée-là.

« Je sentais que, depuis ce jour, pour lui s’ouvrait un monde nouveau, monde de plaisirs et de souffrances : le monde de l’art. Il me semblait avoir surpris ce que personne n’a le droit de voir : la naissance de la fleur mystérieuse de la poésie. Je ressentais de la crainte et de la joie comme le chercheur de trésor qui aurait vu la fleur de fougère[1]. J’éprouvais de la joie, parce que tout d’un coup, tout à fait à l’improviste, se découvrait à moi cette pierre philosophale que je cherchais en vain depuis deux années : l’art d’apprendre à exprimer ses pensées. Je ressentais de la crainte, parce que cet art provoquait de nouvelles exigences, un monde entier de désirs étrangers au milieu dans lequel, comme il m’avait semblé au premier abord, vivaient les élèves. On ne pouvait se tromper : ce n’était pas le hasard, mais la création consciente[2]. »

  1. Cette expression provient d’une légende populaire russe qui dit que, pour découvrir un trésor enfoui, il faut trouver une fleur de fougère qui ne fleurit qu’une seule fois par an, la nuit de la Saint-Jean, et dont la floraison est gardée par toutes sortes de puissances diaboliques. N. T.
  2. Œuvres complètes du comte L.-N. Tolstoï. P.-V. Stock, éditeur. Qui doit enseigner l’art littéraire et à qui ? Tome xiii, pp. 271-278.