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VIE ET ŒUVRE

« Ses yeux brillaient, presque pleins de larmes, ses petites mains maigres, noires, s’agitaient nerveusement ; il s’irritait contre moi et me demandait sans cesse : — « As-tu écrit, as-tu écrit ? » Il se conduisait despotiquement envers tous les autres ; il voulait être le seul à parler, et ne pas parler comme on raconte, mais comme on écrit, c’est-à-dire joindre artistement par la parole les images au sentiment. Par exemple il ne permettait point de changer de place les mots. Avait-il dit :

« Mes jambes ont des plaies, alors il ne permettait pas de mettre : J’ai des plaies aux jambes. Son âme, pendant ce temps, attendrie et irritée par la pitié, c’est-à-dire par l’amour, enveloppait chaque image dans la forme artistique et repoussait tout ce qui ne correspondait pas à l’idée de la beauté éternelle et de l’harmonie. Aussitôt que Siomka se laissait entraîner par l’exposé de détails disproportionnés, sur les moutons de l’étable, etc., Fedka se fâchait et disait :

« — Va-t’en ! Tu arranges déjà !

« Je n’avais qu’à faire une allusion, par exemple, à l’attitude du paysan quand sa femme court chez son beau-frère, et aussitôt, dans l’imagination de Fedka, apparaissaient les moutons à l’étable, les soupirs du vieillard, le délire du petit enfant Serge. Si je faisais allusion à un tableau artificiel et faux, aussitôt, en se fâchant, il disait qu’il ne fallait pas cela. Je proposai, par exemple, de décrire le paysan. Il y consentit. Mais à ma proposition de