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LÉON TOLSTOÏ

au dossier de ma chaise et se mit à lire par-dessus mon épaule. Il me fut impossible de continuer : d’autres s’approchaient de nous, et je leur lus à haute voix ce que j’avais écrit. Cela ne leur plut point, personne ne me loua, et, pour calmer mon amour-propre d’auteur, je me mis à leur narrer le plan de la suite. À mesure que je racontais je me laissais entraîner. Je me corrigeais ; et ils commencèrent à me souffler. L’un disait que le vieux devait être un sorcier ; un autre disait : « — Non, pas ça, qu’il soit tout simplement un soldat. » — « Non, ce sera mieux s’il le vole. » — « Non, ce ne sera pas conforme au proverbe », etc., disaient-ils.

« Tous étaient très intéressés. Évidemment c’était nouveau et amusant pour eux d’assister au procédé de la composition, d’y participer. La plupart de leurs raisonnements étaient exacts et sûrs, tant dans la construction de la nouvelle que dans les détails et la caractéristique des personnages. Presque tous prenaient part à la composition, mais dès le commencement deux se distinguaient surtout : le positif Siomka, par un art remarquable de la description, et Fedka, par la sûreté de la représentation poétique et surtout par la rapidité de l’image. Leurs exigences étaient à un tel point réfléchies et définies que, plusieurs fois, je me mis à discuter avec eux et dus céder. J’avais dans la tête les exigences de la régularité de la construction, de l’exactitude du rapport entre l’idée du proverbe et la nouvelle, eux, au contraire, savaient les exigences de la vérité