Page:Biriukov - Léon Tolstoï, vie et oeuvre 2.djvu/263

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
239
VIE ET ŒUVRE

dit-il une fois avec colère à Pronka, qui courait en avant. Il était excité jusqu’à la cruauté. Il se sentait si bien, en me tenant par les doigts, que personne ne devait oser rompre son plaisir. — « Hé bien ! Encore, encore ! Voilà, c’est bien ! » Nous avions traversé le bois et nous nous trouvions à l’autre extrémité du village. Nous marchions en silence, enfonçant de temps en temps nos pieds dans le sentier mal battu.

« L’obscurité blanche nous paraissait vaciller devant nos yeux. Les nuages étaient si bas qu’il semblait qu’on les poussait sur nous. On ne voyait point de feux dans ce blanc où résonnait le bruit de nos pas dans la neige. Le vent tourbillonnait sur la cime des trembles. J’achevai mon récit sur ce fait que l’Abrek entouré se mit à chanter, et ensuite se jeta de lui-même sur le poignard. Tous se turent.

— « Pourquoi a-t-il chanté quand on l’a entouré ? » demanda Siomka.

— « Mais on t’a donc dit qu’il s’apprêtait à mourir ? » répondit tristement Fedka.

— « Je crois que c’est la prière qu’il a chantée ! » ajouta Pronka. Tous y consentirent.

« Nous nous arrêtâmes près d’un bouquet d’arbres derrière les enclos, à l’entrée même du village. Siomka avait ramassé un bâton couvert de neige ; il en frappa le tronc d’un tilleul. Le givre tomba des branches sur nos bonnets et des sons éclatèrent isolément dans la forêt.

— « Léon Nikolaievitch, dit Fedka, pourquoi