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LÉON TOLSTOÏ

faisait tout lui-même ; il tâchait de travailler, écrivait, m’interrogeait sur mes travaux, me donnait des conseils. Mais il me semble qu’il faisait tout cela non spontanément, mais par principes. Une seule chose, la nature, restait jusqu’au bout. La veille, il alla dans sa chambre et, de faiblesse, tomba sur son lit, près de la fenêtre ouverte. Je vins. Il me dit, les larmes aux yeux : « Quelle jouissance j’ai eue maintenant, toute une heure ! » On le prit de la terre pour le remettre dans la terre. Il ne reste qu’une seule chose : l’espoir vague que là-bas dans la nature dont on deviendra partie, dans la terre, quelque chose subsistera. Tous ceux qui ont été témoins de ses derniers moments disent : « Comme il a eu une belle mort, calme, douce ! » Mais moi, je sais avec quelles souffrances il est mort, car pas un seul de ses sentiments ne m’a échappé. Mille fois je me suis dit : « Laissez les morts ensevelir leurs morts », mais il faut dépenser quelque part les forces qu’on possède encore… On ne peut pas commander à la pierre de tomber en haut au lieu de tomber en bas où elle est attirée. On ne peut pas rire d’une plaisanterie qui ennuie. On ne peut pas manger, quand on n’a pas faim. Pourquoi tout cela, si demain doivent commencer les souffrances de la mort avec toute la lâcheté du mensonge, de la tromperie de soi-même, si tout se termine par le néant, par le zéro. Drôle de plaisanterie ! Sois utile, sois vertueux, sois heureux tant que tu vis, se disent les hommes. Et toi, et le