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LÉON TOLSTOÏ

pensé le faire transporter, mais j’ai réfléchi. Il ne faut pas rouvrir la plaie. Je te plains que cette nouvelle te trouve à la chasse, pendant les distractions, et qu’elle ne te saisisse pas comme moi. C’est bien. Je ressens maintenant ce dont j’ai souvent entendu parler : qu’aussitôt qu’on perd un homme, tel qu’il était pour nous, alors il devient beaucoup plus facile de penser à la mort.

« Ta lettre est arrivée au moment où l’on disait les prières sur lui. Oui, tu ne chasseras plus avec lui.

« Deux jours avant sa mort, il m’a lu ses notes sur la chasse et il parlait beaucoup de toi. Il disait que Dieu t’a fait heureux, mais que tu te tourmentes toi-même.

« Ce n’est que le lendemain que j’ai fait faire son portrait et son masque ; le portrait n’a pas bien rendu son expression, mais le masque est très bien. »

Cette mort impressionna vivement Léon Nikolaievitch et d’abord l’éloigna de la vie en même temps qu’elle ébranlait sa foi dans le bien. Voici ce qu’il note dans son journal :

« 13 octobre 1860. Il y a bientôt un mois que Nikolenka est mort. Cet événement m’a détaché fortement de la vie. De nouveau la question : Pourquoi ? Ce n’est pas déjà loin du voyage là-bas. Où ? Nulle part. Je tâche d’écrire ; je fais des efforts, mais cela ne va pas, parce que je ne puis pas attribuer au travail l’importance nécessaire pour avoir la force et la patience de travailler. Pendant les