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VIE ET ŒUVRE

pour ces raisons rompu ses attaches avec la littérature, mais chacun a travaillé jusqu’au bout.

« Mais, chez vous, toutes les aspirations, les bonnes et les autres, sont particulièrement obstinées, c’est pourquoi il vous est plus nécessaire qu’à tout autre d’y bien réfléchir.

« Avant tout, souvenez-vous qu’après la poésie et le travail de la pensée, tous les autres labeurs paraissent fades. Qui a bu boira. Et se détacher de l’activité littéraire à trente ans, cela signifie se passer de la moitié de tous les intérêts de la vie. Mais ce n’est là qu’un des côtés de l’affaire ; il y en a un autre, et le plus important.

« À nous tous incombe une responsabilité, qui tient à la grande importance qu’a maintenant la littérature dans la société russe. Un Anglais ou un Américain peuvent éclater de rire qu’en Russie, non seulement les hommes de trente ans, mais des propriétaires à cheveux gris, possesseurs de deux mille âmes, peinent sur une nouvelle en cent pages qui paraît dans une revue, que tout le monde dévore, et qui provoque pour toute une journée les discussions de la société. On ne peut expliquer ce phénomène par aucun don artistique. Ce qui, en d’autres pays, n’est qu’une affaire de rabâchage de mots, de dilettantisme, chez nous est tout autre. Chez nous les événements se sont formés de telle façon que la nouvelle, cet amusement, le genre le plus superficiel de la littérature, est une des deux choses : ou une mauvaise action, ou la voix d’un