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VIE ET ŒUVRE

exemple. Vous marchez résolument et sans écart dans la voie consciente et définie. Mais êtes-vous tout à fait étranger à cette direction que vous avez appelée la littérature accusatrice ? Dans le tableau du postillon phtisique qui se meurt sur le poêle au milieu de ses camarades visiblement indifférents à ses souffrances, n’avez-vous pas dénoncé une plaie sociale quelconque, quelque vice ? En décrivant cette mort n’avez-vous pas souffert de cette cruelle insensibilité des âmes humaines, bonnes, mais pas encore éveillées ? Oui et vous fûtes et serez malgré vous accusateur. Marchez avec l’aide de Dieu dans cette belle voie que vous avez choisie, avec le même succès que vous avez obtenu jusqu’à ce jour, ou avec un succès plus grand encore, car votre don n’est pas un don accidentel et qui s’épuisera bientôt. Mais soyez sûr que, dans la littérature, l’éternel et l’artistique s’alimentent toujours du temporaire et de l’accidentel qu’ils transforment et ennoblissent, et que toutes les diverses branches du verbe humain se confondent perpétuellement en un tout harmonieux[1]. »

La prophétie de Khomiakov s’est réalisée. Sans parler de l’élément accusateur dans toutes les œuvres de la première période, vingt ans après Léon Nikolaievitch est paru lui-même avec le repentir, puis l’accusation du mal contemporain ; et il a consacré à cette œuvre ses puissantes forces artistiques.

  1. Rousskï Arkhiv (Archives russes), 1896, no 11, p. 491, art. de V.-N. Liaskovsky (A. S. Khomiakov, sa biographie et sa doctrine).