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VIE ET ŒUVRE

gissais au nom du progrès, mais déjà je regardais le progrès du point de vue critique.

« Je me disais que le progrès dans quelques-uns de ses phénomènes s’accomplit irrégulièrement et qu’il faut laisser les hommes primitifs, les enfants, tout à fait libres, qu’il faut leur laisser choisir cette voie du progrès qu’ils désirent. En réalité, je tournais toujours autour du même problème insoluble qui consistait à enseigner sans savoir quoi. Dans les hautes sphères de l’activité littéraire, j’avais compris qu’on ne peut pas enseigner sans savoir quoi, parce que je voyais que tous les enseignements étaient différents l’un de l’autre, et que leurs discussions marquaient seulement leur propre ignorance. Ici, avec les enfants des paysans, je crus qu’on pouvait éviter ces divergences, en laissant les enfants apprendre ce qu’ils veulent.

« Maintenant, au souvenir, je vois combien c’était ridicule, car je savais très bien, par toute mon âme, que je ne pouvais enseigner rien de ce qui est nécessaire, parce que je l’ignorais moi-même[1]. »

Ce sentiment de mécontentement perpétuel de soi-même, cette recherche du sens de la vie, c’était une force agissant constamment sur lui, et l’entraînant en avant dans la voie du progrès moral.

Au mois de février 1859, Léon Nikolaievitch était élu membre de la « Société moscovite des Amateurs des lettres russes ». Le 4 février 1869 eut lieu la

  1. Les Confessions, édition russe de V. Tchertkov, p. 11.