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LÉON TOLSTOÏ

aimaient et qu’elles se sentaient à leur aise.

« Ce n’était pas seulement son amour pour moi qui était joyeux, c’était aussi toute cette atmosphère d’amour pour tous, présents et absents, vivants et morts, et même pour les animaux.

« S’il fallait creuser ma vie je parlerais encore longtemps et longtemps d’elle. Maintenant je me bornerai à mentionner les rapports du peuple, des paysans d’Iasnaia Poliana envers elle qui se montrèrent pendant ses funérailles. Pendant que le cortège traversait le village, à chaque izba, des gens sortaient et il fallait s’arrêter pour une bénédiction : « C’était une bonne dame ! Elle n’a jamais fait de mal à personne », disaient-ils ; tous l’aimaient à cause de cela. Lao-Tsé dit que les objets sont précieux par ce qui leur manque. La même chose de la vie : sa valeur principale c’est que rien de mauvais ne la souille ; et dans la vie de la tante T.-A. il n’y avait rien de mauvais. C’est facile à dire, mais difficile à faire, et je n’ai connu qu’une seule personne pareille.

« Elle mourut doucement, s’éteignant peu à peu et, comme elle l’avait désiré, elle ne mourut pas dans la chambre qu’elle habitait et qu’elle ne voulait pas nous gâter.

« À ses derniers moments elle ne reconnaissait presque personne, mais moi elle me reconnut jusqu’à la fin. En souriant elle s’éclairait comme une lampe électrique dont on pousse le bouton, par moment elle remuait les lèvres et tâchait de pro-