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LÉON TOLSTOÏ

lance de l’autre tante qui l’avait cruellement attristée en nous enlevant à elle ; elle ne blâmait pas non plus le mari de ma sœur qui s’était très mal conduit envers elle. Avec les domestiques, il n’y a rien à dire. Elle avait été élevée dans les idées qu’il y a des maîtres et des serviteurs, mais elle n’usait de ses privilèges que pour soulager les domestiques. Jamais elle ne me reprocha crûment ma mauvaise conduite, bien qu’elle en souffrît. De même elle ne fit aucun reproche à mon frère Serge qu’elle aimait tendrement, quand il eut une liaison avec une tzigane. La seule nuance d’inquiétude qu’elle nous laissât voir, c’était de dire quand il était longtemps sans venir : « que fait notre Sergius » au lieu de Serge. Jamais elle ne faisait la morale sur la façon de vivre. Tout le travail moral s’accomplissait intérieurement en elle, et extérieurement il n’en paraissait que ses œuvres, et même pas ses œuvres, elle n’en faisait point, mais toute sa vie calme, douce, timide et aimante, non d’un amour troublant qui s’impose, mais d’un amour calme qu’on ne remarque pas.

« Elle faisait intérieurement l’œuvre d’amour, c’est pourquoi elle n’avait jamais besoin de se hâter nulle part ; et ces deux qualités : l’amour et le calme, insensiblement, attiraient à elle et donnaient un charme particulier à son intimité.

« Aussi, de même que je ne connais pas de cas qu’elle ait offensé quelqu’un, ne connais-je personne qui ne l’ait point aimée. Jamais elle ne parlait d’elle,