Page:Biriukov - Léon Tolstoï, vie et oeuvre 2.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
94
LÉON TOLSTOÏ

plus cela. Et le divan sur lequel dormait la bonne vieille Natalie Pétrovna qui vécut avec elle, non pour elle, mais parce qu’elle ne savait où aller. Entre les fenêtres, sous la glace, se trouve sa table à ouvrage avec des petits pots renfermant des sucreries, des gâteaux, des dattes, dont elle me régalait. Près de la fenêtre, les deux fauteuils sont là à droite de la porte, l’un est commode, brodé, elle aimait à m’y voir le soir… Le charme principal de cette vie c’était l’absence de tout souci matériel, les bons rapports avec tous, rapports indiscutablement bons envers le prochain, rapports qui ne pouvaient être troublés par personne, et le calme, l’insouciance du temps qui fuit. On pouvait dire alors :

« Wer darauf sitzt, der ist glücklich und der Glückliche bin ich. »

« En effet, j’étais véritablement heureux quand j’étais assis dans ce fauteuil. Après la vie dissipée à Toula, chez des voisins, avec les cartes, les tziganes, la chasse, la vanité stupide, je rentre à la maison, je vais chez elle et par une vieille habitude je baise sa main délicate, énergique, elle, ma main abjecte, vicieuse. En lui disant bonjour je plaisante avec Natalie Pétrovna ; je m’assois dans le fauteuil confortable. Elle sait tout ce que j’ai fait. Elle le déplore, mais ne m’adresse jamais un reproche : elle est toujours aussi tendre, aussi affectueuse. Je reste dans le fauteuil, je lis, je pense, j’écoute sa conversation avec Natalie Pétrovna. Tantôt elles se rappellent le vieux temps, tantôt elles font une