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VIE ET ŒUVRE

une vieille pomme de terre gelée et encore bouillie dans la sauce, mais le printemps agit sur moi de telle façon que parfois je rêve que, moi aussi, je suis une plante qui va s’épanouir avec toutes les autres et qui se met à pousser tranquillement, simplement et joyeusement dans l’univers. À ce propos, vers cette époque il se passe un tel travail intérieur, une telle purification des sentiments, que ceux qui ne l’ont pas éprouvé ne peuvent se l’imaginer. À bas tout ce qui est vieux, toutes les conventions mondaines, toute la paresse, tout l’égoïsme, tous les vices, tous les attachements vagues, les regrets, les remords. À bas tout cela !… Cédez la place à cette fleur merveilleuse qui gonfle ses bourgeons et croît avec le printemps !… »

Cette lettre, assez longue, est intéressante d’un bout à l’autre. Elle est intéressante encore par sa fin où Léon Nikolaievitch écrit la demande suivante : « Au revoir, ma chère grand’mère, ne m’en veuillez pas pour cette bêtise et répondez-moi un mot sensé, pénétré de la bonté, de la bonté chrétienne. Depuis longtemps j’ai voulu vous dire qu’il vous est plus commode de m’écrire en français et qu’à moi la pensée des femmes m’est plus compréhensible en français[1]. »

Ce même printemps Fet et sa femme passant à Moscou pour se rendre dans leur propriété firent visite à Léon Nikolaievitch à Iasnaia Poliana.

  1. I. Zakharine (Iakounine) : Souvenirs sur la comtesse A.-A. Tolstoï. Le Messager de l’Europe, juin 1904