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VIE ET ŒUVRE

est près de moi, je ne sais pas qui, et se penche vers moi, tout cela dans la demi-obscurité. Mais je me rappelle qu’il y avait deux personnes et que mes cris agissaient sur elles ; elles s’en inquiétaient mais ne me détachaient pas, ce que je désirais ; et je criais encore plus fort. Il leur semblait que c’était nécessaire (de me tenir attaché) tandis que moi je sentais que ce n’était pas du tout nécessaire et voulais le leur exprimer. Et je poussais des cris aigus, désagréables pour moi-même, mais que je ne pouvais retenir. Je sens l’injustice et la cruauté non des gens, puisqu’ils me plaignent, mais du sort, et m’attendris sur moi-même. Je ne sais pas et ne saurai jamais ce que c’était. Était-ce mon maillot quand j’étais encore nourrisson, d’où je tâchais de sortir mes bras, ou était-ce le maillot qu’on m’avait mis quand j’avais plus d’un an pour que je ne gratte pas mes boutons ? Était-ce un mélange de souvenirs, d’impressions nombreuses, comme il arrive dans le rêve ? Mais il y a une chose sûre, c’est que cette impression est la première et la plus forte de toute ma vie. Et ce n’est pas mon cri, pas mes souffrances qui sont mémorables pour moi, mais la complexité, la contradiction des impressions. Je désire la liberté, elle ne peut gêner personne, et moi qui ai besoin de force je suis faible et ce sont eux qui sont forts.

« L’autre impression est joyeuse. Je suis assis dans un baquet, une odeur pas désagréable, nouvelle, d’une substance quelconque avec laquelle on frotte