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LÉON TOLSTOÏ

même tous ses amis étaient eux aussi des hommes libres qui ne servirent jamais et frondaient un peu le gouvernement de Nicolas Pavlovitch.

« Pendant toute mon enfance et même mon adolescence, notre famille ne fut en rapports intimes avec aucun fonctionnaire. Naturellement, quand j’étais enfant je n’y comprenais rien, mais je comprenais que mon père ne s’humilierait jamais devant personne, ne modifierait pas son ton gai, brave et souvent moqueur, et ce sentiment de dignité, que je voyais en sa personne, augmentait mon amour et mon enthousiasme pour lui.

« Je me le rappelle dans son cabinet où nous venions lui dire bonsoir et parfois tout simplement nous amuser. Là, il était assis sur le divan de cuir, avec sa pipe, et nous caressait, et, quelquefois, à notre joie suprême, nous laissait derrière son dos sur le divan et continuait de lire ou de causer à l’intendant, qui se tenait debout sur le seuil de la porte, ou à Serge Ivanovitch Iazikov, mon parrain, qui était souvent notre hôte.

« Je me rappelle comment il venait chez nous, en bas, et nous faisait des dessins qui nous paraissaient des merveilles. Je me rappelle qu’une fois il me força de lui réciter des vers de Pouschkine, que j’aimais beaucoup et avais appris par cœur : À la mer : « Adieu, élément libre, » etc., À Napoléon : « Le sort merveilleux s’est accompli, le grand homme s’est éteint… », etc. Il fut évidemment frappé de ce pathos avec lequel je pro-