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LÉON TOLSTOÏ

« Mon père était resté tout jeune fils unique. Son frère cadet Ilenka, ayant fait une chute dans son enfance, devint bossu et mourut jeune. En 1812, mon père avait 17 ans, et, malgré l’horreur, la crainte et les supplications de ses parents, il entra dans l’armée.

« À cette époque, le prince Nicolas Ivanovitch Gortchakov, parent très proche de ma grand’mère, née princesse Gortchakov, était ministre de la guerre ; son frère André Ivanovitch était général, commandant un détachement quelconque de l’armée active. Mon père fut attaché à lui comme aide-de-camp. Il fit les campagnes de 1813-1814. En 1814, il fut envoyé quelque part en Allemagne comme courrier, et fut fait prisonnier par les Français. Il ne recouvra sa liberté qu’en 1815, quand nos troupes entrèrent à Paris.

« Mon père, à vingt ans, n’était déjà plus innocent, et encore avant son entrée au service militaire, quand il avait à peu près seize ans, ses parents, — pour sa santé, comme on le pensait alors — l’unirent à une serve. De cette liaison naquit un fils, Michenka, dont on fit un facteur, et qui, du vivant de mon père, vécut très heureux. Mais ensuite il s’engagea dans une mauvaise voie, et s’adressa souvent à nous, ses frères, pour l’aider. Je me rappelle ce sentiment étrange d’étonnement que j’éprouvais quand ce frère, qui était tombé dans la mendicité, très ressemblant (plus que nous tous) à mon père, nous demandait l’aumône et se mon-