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LÉON TOLSTOÏ

un grand nom et beaucoup de relations, mais sa fortune avait été dérangée par mon grand-père Tolstoï (jusqu’à tel point que mon père renonça même à la succession). Je crois que ma mère aimait mon père, mais elle l’aimait plus comme mari, et principalement comme père de ses enfants, qu’elle n’était amoureuse de lui. De l’amour, comme je le comprends, de la passion, elle en avait eu pour trois ou quatre personnes : pour son fiancé mort, pour une jeune Française, Mlle Enissienne, dont j’ai entendu parler par mes tantes, et qui se termina, il me semble, par un désenchantement. (Cette demoiselle Enissienne épousa le cousin germain de ma mère, le prince Michel Alexandrovitch Volkonskï, le grand-père de l’écrivain actuel.)

« Voici ce que ma mère écrivit de son amitié avec cette demoiselle, à propos de l’amitié de deux jeunes filles qui étaient chez elle en visite : « Je m’arrange très bien avec toutes les deux ; je fais de la musique, je ris et je folâtre avec l’une, et je parle sérieusement, je médis du monde frivole avec l’autre ; je suis aimée à la folie par toutes les deux ; je suis la confidente de chacune ; je les concilie quand elles sont brouillées, car il n’y eut jamais d’amitié plus querelleuse et plus drôle à voir que la leur : ce sont des bouderies, des réconciliations, des injures, et puis des transports d’amitié, enfin j’y vois comme dans un miroir l’amitié exaltée et romanesque qui a animé et troublé ma vie pendant quelques années. Je les regarde avec un sentiment