déjà vieux quand je l’ai connu) ; c’était un des restes de l’antique seigneurie de mon grand-père. Il avait été acheté uniquement pour dire des contes que, grâce à la mémoire extraordinaire propre aux aveugles, il pouvait raconter mot à mot après les avoir entendu lire deux fois.
« Il vivait quelque part dans la maison et, de la journée, on ne le voyait pas ; mais, le soir, il montait dans la chambre à coucher de grand’mère (cette chambre était très basse et pour y entrer il fallait monter deux marches) et s’asseyait sur le rebord de la fenêtre, très basse ; là on lui apportait à souper de la table des maîtres. Il attendait la grand’mère qui pouvait, sans se gêner, faire sa toilette de nuit devant l’aveugle. Quand c’était mon jour de passer la nuit chez grand’mère, Léon Stépanitch, avec ses yeux blancs, dans sa longue houppelande, était déjà assis sur le rebord de la fenêtre et mangeait. Je ne me rappelle pas si grand’mère se déshabillait dans la même chambre ou dans une autre, ni comment on me mettait au lit, je me rappelle seulement que la chandelle était éteinte et qu’il ne restait plus qu’une veilleuse devant les icônes dorées. Grand’mère, cette remarquable grand’mère qui faisait de si extraordinaires bulles de savon, toute blanche sur du blanc, couverte de blanc, en bonnet blanc, était couchée haut sur les oreillers, et, de devant la fenêtre, s’entendait la voix régulière, calme de Léon Stépanitch. — « Vous ordonnez de continuer ? » — « Oui, continue. »