Voici le tableau général. Dans ma prochaine lettre, je t’écrirai plus en détail sur le présent. »
À cette description brève nous pouvons ajouter que le ton plaisant de la lettre ne correspondait pas du tout aux pensées et aux sentiments sérieux qui en ce moment troublaient Léon Nikolaievitch. Dans son journal, à la date du 5 mars 1855, il note la prophétie suivante sur lui-même :
« La conversation sur la divinité et la foi m’a amené à une grande idée, pour la réalisation de laquelle je me sens capable de consacrer toute ma vie. Cette idée c’est la fondation d’une nouvelle religion, correspondant au niveau du développement de l’humanité, la religion du Christ, mais purifiée du dogme et des mystères, une religion pratique ne promettant pas la béatitude de la vie future, mais donnant le bonheur sur la terre. Je comprends que ce ne sont que des générations entières, travaillant consciemment dans ce but qui puissent réaliser cette idée. Une génération léguera cette idée à la suivante, et un jour, le fanatisme ou la raison l’accompliront. Agir consciemment afin d’unir les hommes par la religion — voilà la base de l’idée qui, je l’espère, me guidera. »
L’homme qui, il y a cinquante ans, écrivit ces lignes et qui, par suite, avec tant d’énergie et de fermeté, a posé les bases de la réalisation de cette idée, cet homme n’avait évidemment pas sa place dans l’ar-
qu’il donna l’ordre d’écarter du danger le jeune officier qui promettait un avenir si remarquable.