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VIE ET ŒUVRE

les troupes, au lieu de « Bonjour, mes enfants ! » a dit : « Il faut savoir mourir, mes enfants ! Saurez-vous mourir ? » Et les soldats ont crié : « Nous saurons mourir, Votre Excellence ! Hourra ! » Et ce n’était pas de la pose : on voyait sur le visage de chacun que c’était vrai, et vingt-deux mille ont déjà tenu leur serment. Un soldat blessé, presque mourant, m’a raconté comment ils ont pris, le 2l du mois dernier, une batterie française, sans qu’on leur eût envoyé des renforts. Il sanglotait. Une compagnie de marins faillit se révolter parce qu’on voulait les remplacer à la batterie où ils étaient depuis trente jours sous les bombes. Des femmes apportent de l’eau aux bastions pour les soldats ; plusieurs ont été tuées ou blessées. Les prêtres viennent aux bastions avec la croix et, sous le feu, récitent des prières. Dans une brigade, le 24, cent soixante soldats blessés n’ont pas quitté les rangs. Époque sublime ! Toutefois, maintenant, depuis le 24, nous sommes plus calmes et à Sébastopol tout va bien. L’ennemi tire peu. Tous sont convaincus qu’ils ne prendront pas la ville, et, en effet, c’est impossible. Trois hypothèses sont possibles : ou l’ennemi marche à l’assaut, ou il nous déroute par de faux travaux, ou il se fortifie pour passer l’hiver. La première est la moins probable, la deuxième est la plus vraisemblable. Je n’ai pas eu la chance d’être à une seule affaire, mais je remercie Dieu d’avoir vu ces choses et de vivre en ce valeureux temps. Le bombardement du 5 restera le fait le plus glorieux, le plus