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LÉON TOLSTOÏ

la Silistrie, mais à toi et à Nicolas je n’écrirai pas ainsi. Je voudrais vous écrire pour que vous me compreniez comme je le désire. La Silistrie, maintenant, c’est une vieille chanson ; maintenant c’est Sébastopol où j’étais il y a quatre jours, et dont vous lisez, je pense, les nouvelles avec un battement de cœur. Comment te raconter tout ce que j’ai vu là-bas, ce que j’y ai fait, ce que disaient les Français et les Anglais blessés et prisonniers, s’ils souffrirent beaucoup, quels héros sont nos ennemis, les Anglais surtout. Nous causerons de tout cela après, à Iasnaia ou à Pirogovo, et il y a beaucoup de choses de moi que tu apprendras, mais par la presse. Comment cela ? Je te le raconterai après, pour le moment je te donnerai à comprendre dans quelle situation sont nos affaires à Sébastopol. La ville est assiégée d’un seul côté, au sud — où nous n’avions aucune fortification quand l’ennemi approcha. Maintenant nous avons de ce côté plus de cinq cents canons de gros calibre et quelques rangées de fortifications terrestres absolument inaccessibles. J’ai passé une semaine au fort et jusqu’au dernier jour j’ai erré dans les dédales de la batterie comme dans une forêt. Il y a déjà trois semaines, l’ennemi, à un certain endroit, s’est approché à une distance de 80 sagènes et ne bouge pas. Au moindre mouvement en avant, on le comble d’une pluie d’obus.

« L’esprit de l’armée est au-dessus de tout ce qu’on peut dire. Au temps de la Grèce antique il n’y avait pas tant d’héroïsme. Kornilov, en parcourant