sans but ni plaisir les meilleures années de sa vie, qui enfin s’exile au Caucase pour fuir ses créanciers et ses habitudes et qui de là, en invoquant des liens quelconques qui existèrent jadis entre son père et le généralissime, va passer dans l’armée du Danube, lieutenant à vingt-six ans, presque sans ressources sauf ses appointements (car il doit employer ce qu’il possède à payer les dettes restantes), sans protecteurs, sans règle de conduite, sans aptitudes au service, sans capacité pratique, mais avec un immense amour-propre. Oui, telle est ma situation sociale ! Voyons maintenant ce qu’est ma personne :
« Je suis laid, gauche, malpropre et sans éducation mondaine. Je suis irritable, désagréable pour les autres, prétentieux, intolérant et timide comme un enfant. Je suis presque ignorant. Ce que je sais, je l’ai appris par ci par là, sans suite et encore si peu. Je suis indécis, inconstant, extraordinairement ambitieux et violent comme tous les hommes sans caractère. Je ne suis pas courageux : je suis inexact et si paresseux que l’oisiveté est presque devenue pour moi une habitude invincible.
« Je suis intelligent, mais mon esprit n’a encore jamais été bien éprouvé en rien. Je n’ai ni l’esprit pratique, ni l’esprit mondain, ni l’esprit d’affaires.
« Je suis honnête. C’est-à-dire que j’aime le bien ; j’ai pris l’habitude de l’aimer et quand je m’en écarte je suis mécontent de moi et je retourne au bien avec plaisir. Mais il y a des choses que j’aime plus que le bien, c’est la gloire ; je suis si ambitieux