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LÉON TOLSTOÏ

semblant de pas plus penser à la journée de demain qu’à une journée ordinaire et tous, j’en suis sûr, au fond du cœur ressentaient un petit serrement de cœur et pas même un petit, mais un grand, à l’idée de l’assaut. Comme tu sais, Nikolas, que le temps qui précède une affaire est le temps le plus désagréable, c’est le seul où on a le temps d’avoir peur et la peur est un sentiment des plus désagréables. Vers le matin, plus le moment approchait, plus le sentiment diminuait et vers trois heures, quand nous nous attendions tous à voir partir le bouquet de fusées qui était le signal de l’attaque — j’étais si bien disposé que si l’on était venu me dire que l’assaut n’aurait pas lieu, cela m’aurait fait beaucoup de peine. Et voilà que juste une heure avant le moment de l’assaut arrive un aide de camp du maréchal avec l’ordre d’ôter le siège de Silistrie. Je puis dire sans craindre de me tromper que cette nouvelle a été reçue par tous, — soldats, officiers et généraux — comme un vrai malheur, d’autant plus qu’on savait par les espions qui nous venaient très souvent de Silistrie, et avec lesquels j’avais très souvent l’occasion de causer moi-même, on savait que ce fort pris, chose dont personne ne doutait — Silistrie ne pouvait tenir plus de deux ou trois jours. N’est-ce pas que si cette nouvelle devait faire de la peine à quelqu’un ce devait être au prince, qui, pendant toute cette campagne, ayant fait toute chose pour le mieux, au beau milieu de l’action vit venir le maréchal sur son dos pour gâter les affaires et puis,