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VIE ET ŒUVRE

Mustafa Pacha, le gouverneur de Silistrie. La vue de cet endroit est non seulement magnifique, mais pour nous tous de plus grand intérêt. Sans parler du Danube, de ses îles et de ses rivages, les uns occupés par nous, les autres par les Turcs, on voyait la ville, la forteresse, les petits forts de Silistrie comme sur la main. On entendait les coups de canon, de fusils, qui ne cessaient ni jour ni nuit et avec une lunette d’approche on pouvait distinguer les soldats turcs. Il est vrai que c’est un drôle de plaisir que de voir des gens s’entretuer. Tous les soirs et matins je me mettais sur une charrette et je restais des heures entières à regarder et ce n’était pas moi seul qui le faisais ; le spectacle était vraiment beau, surtout la nuit. Les nuits, ordinairement, mes soldats se mettent aux travaux des tranchées, et les Turcs se jettent sur eux pour les en empêcher, alors il fallait voir et entendre cette fusillade. La première nuit que j’ai passée au camp, ce bruit terrible m’a réveillé et effrayé, je croyais qu’on était allé à l’assaut et j’ai bien vite fait seller mon cheval ; mais ceux qui avaient déjà passé quelque temps au camp me dirent que je n’avais qu’à me tenir tranquille ; que cette canonnade et fusillade était une chose ordinaire et qu’on appela en plaisantant « Allah ». Alors je me suis recouché, mais, ne pouvant m’endormir, je me suis amusé, une montre à la main, à compter les coups de canon que j’entendais, et j’ai compté 110 explosions dans l’espace d’une minute. Et cependant tout ceci n’a pas de