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VIE ET ŒUVRE

chev courut sur ses traces, mais son cheval galopait mal et les Tchetchenzes l’atteignirent, le blessèrent, et le jetèrent à terre, après quoi, à pied, il se traîna jusqu’à la colonne. Le plus infortuné, c’était Paul. En apercevant les Tchetchenzes, instinctivement il se jeta en avant dans la direction de Groznaia. Mais comprenant aussitôt que son cheval jeune, gâté, et trop nourri, ne ferait pas au galop, en pleine chaleur, les cinq verstes qui le séparaient du fort, il tourna bride au moment même où la bande ennemie descendait de la montagne, arrivant sur la route ; et, saisissant son épée, la tête, perdue (comme il s’exprimait lui-même), il voulut se frayer un chemin parmi eux. Mais un des montagnards dirigea sûrement son fusil et, attendant l’approche de Paul, tira presque à bout portant dans le front de son cheval noir. L’animal tomba et couvrit son cavalier de son cadavre. Le Tchetchenze se pencha sur Paul, lui arracha des mains l’épée à poignée d’argent et se mit à lui tirer son fourreau ; mais à la vue du 3e détachement qui volait à son secours, il lui frappa la tête d’un coup d’épée et s’enfuit. Son exemple était suivi par six autres montagnards qui, en toute hâte, avec force et cruauté, portaient des coups d’épée à la tête et à l’épaule de Paul, qui, immobile sous le fardeau du cheval, resta là, ensanglanté, jusqu’à ma venue[1]. »

Des souvenirs de Bers, nous apprenons encore

  1. Souvenirs de V. A. Poltoratzki, Istoritscheski Viestnik (Messager historique). Juin 1893, p. 672