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LÉON TOLSTOÏ

mais assurés, sans boiter ni gémir, et ce n’est que tout près de nous que nous remarquâmes combien il s’était chèrement défendu des Tchetchenzes. Le sang coulait à flots de blessures à la poitrine. Ses deux jambes et son ventre étaient criblés de balles, par la mitraille ; son cou portait des entailles faites au sabre. Il n’y avait dans la colonne ni docteur ni infirmier et les barbiers de la Compagnie durent s’occuper du blessé. L’un d’eux pansa très habilement le blessé. Rosen, qui s’était enfin remis un peu du premier moment d’effroi, put expliquer que lui et quatre autres s’étant séparés de l’occasion partirent en avant, et qu’au moment de l’attaque des montagnards le comte L. Tolstoï, Paul Poltoratzki et le Tatar Sado s’étaient enfuis probablement à Groznaia, tandis que Stcherbachev et lui-même tournaient leurs chevaux à l’encontre de la colonne en marche. « Votre Seigneurie, m’interrompit le soldat d’artillerie qui était juché sur une haute charretée de foin, là-bas sur la route, il y a quelqu’un d’étendu et qui a l’air de remuer. » Je criai au troisième détachement : « En avant ! En avant 1 En course ! » et m’élançai moi-même sur la route. À cinq cents pas du canon d’avant-garde gisait le cheval noir que nous connaissions et au-dessous de lui on aperçut le corps mutilé de Paul[1]. Il gémissait affreusement et d’une voix désespérée suppliait de le délivrer du cadavre du cheval. Je

  1. Paul Poltoratzki, neven du narrateur. P. B.