Dès les premiers pas de son activité littéraire L.-N. Tolstoï eut l’occasion de se heurter à un obstacle cruel et inerte qui depuis près de deux siècles étouffe le développement libre de la pensée russe et qui s’appelle la censure.
Dans sa lettre à son frère Serge, en mai 1853, il écrit :
« Je t’écris à la hâte, aussi excuse-moi si ma lettre est brève et sans suite. L’Enfance a été abîmée et l’Incursion perdue par la censure. Tout ce qui était bien a été rayé ou déformé. J’ai donné ma démission, et dans quelques jours, c’est-à-dire dans un mois et demi, j’espère aller à Piatigorsk, en homme libre, et de là en Russie. »
Mais ce n’était pas si facile de donner sa démission et en été de cette même année 1853, Léon Nikolaievitch courut de nouveau un grand danger : il évita à grand’peine la captivité.
Nous emprunterons le récit de cette aventure aux Souvenirs de Poltoratzki.
« Le 13 juin 1853, je partis pour l’occasion[1] à Groznaia, avec les 5e et 6e Compagnies du régiment Kourinskï et une compagnie du bataillon de ligne, avec deux canons. Après le relais, près du mamelon d’Ermolov, quand déjà les colonnes étaient en marche, tout d’un coup, du milieu de la
- ↑ Au cours des guerres contre les montagnards, il était très dangereux de circuler sans être accompagné de forts convois, aussi profitait-on, pour voyager, des mouvements de convois sous garde renforcée. Les voyages de cette sorte s’appelaient « occasions ». P.-B.