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LÉON TOLSTOÏ

principal ici est tenu par les familles et les lieux publics. La société se compose de seigneurs ruraux (on appelle ainsi tous ceux qui arrivent ici) qui regardent les usages du pays avec mépris, et, de messieurs les officiers, qui regardent les plaisirs d’ici comme le comble de la béatitude. En même temps que moi, de l’état-major est arrivé l’officier de notre batterie. Il fallait voir son enthousiasme et son impatience quand nous entrâmes dans la ville. Encore avant, il me vantait la beauté et la gaieté de la ville d’eaux, les promenades au son de la musique sur les boulevards et ensuite l’envahissement des pâtisseries où l’on fait des connaissances même avec des familles ; le théâtre, les réunions, chaque année, il y a des mariages, des duels… en un mot la vraie vie parisienne. Aussitôt que nous sommes descendus de tarentass, mon officier mit des pantalons bleus, très étroits du bas, des bottes avec d’énormes éperons, ses épaulettes ; il s’est bien astiqué, puis est allé se promener à la musique sur les boulevards, et de là à la pâtisserie, au théâtre et au cercle. Mais je sais qu’au lieu de faire la connaissance de familles et de demoiselles à marier, propriétaires de mille âmes, pendant tout un mois il n’a pas fait d’autre connaissance que celle de trois officiers en dèche, qui l’ont écorché vif aux cartes, et d’une maison de famille où vivent dans la même chambre deux familles, et où l’on boit du thé à prikouska[1]. En

  1. Manière russe de prendre le thé : sans le sucrer, par économie,