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LÉON TOLSTOÏ

« J’ai dans l’idée que l’idée si frivole que j’ai eue d’aller faire un voyage au Caucase est une idée qui m’a été inspirée d’en haut. C’est la main de Dieu qui m’a guidé. Je ne cesse de l’en remercier. Je sens que je suis devenu meilleur ici (et ce n’est pas beaucoup dire puisque j’ai été très mauvais), et je suis fermement persuadé que tout ce qui peut m’arriver ici ne sera que pour mon bien, puisque c’est Dieu lui-même qui l’a voulu ainsi. Peut-être que c’est une idée bien hardie, néanmoins j’ai cette conviction. C’est pour cela que je supporte les fatigues et les privations physiques dont je parle (ce ne sont pas des privations physiques — il n’y en a pas pour un garçon de vingt-trois ans qui se porte bien) sans les ressentir, même avec une espèce de plaisir en pensant au bonheur qui m’attend.

« Voilà comment je me le représente.

« Après un nombre indéterminé d’années, ni jeune, ni vieux, je suis à Iasnaia, mes affaires sont en ordre, je n’ai pas d’inquiétudes ni de tracasseries. Vous habitez Iasnaia aussi. Vous avez un peu vieilli, mais vous êtes encore fraîche et bien portante. Nous menons la vie que nous avons menée, — je travaille le matin, mais nous nous voyons presque toute la journée. Nous dînons. Le soir je vous fais une lecture qui ne vous ennuie pas, puis nous causons, moi je vous raconte ma vie au Caucase, vous me parlez de vos souvenirs, — de mon père, de ma mère, vous me contez des histoires de brigands que jadis nous écoutions les yeux effrayés