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VIE ET ŒUVRE

faire, car l’auteur, à cause de son éducation et de sa position sociale, jugeait qu’entre elle et lui se trouvait un abîme. Citons le passage le plus clair et le plus essentiel de cette lettre.

… « Que vous êtes tous petits et misérables ! Vous ne savez point ce qui est le bonheur et la vie ! Il faut avoir une fois senti la vie dans toute sa pure beauté, il faut voir et comprendre ce que je vois chaque jour devant moi : les neiges inaccessibles des montagnes, et dans cette beauté primitive une femme majestueuse, telle que devait apparaître la première femme sortant des mains du créateur, pour savoir alors clairement qui se perd, qui est dans le vrai ou le faux, de vous ou de moi. Si vous saviez combien vous me paraissez lâches et misérables, avec vos illusions ! Aussitôt qu’au lieu de ma cabane, de ma forêt, de mon amour, je me représente ces salons, ces femmes aux cheveux pommadés sous les boucles fausses, ces lèvres qui se remuent avec artifice, ces membres faibles, cachés et déformés, et ce caquetage de salon, qu’on doit regarder comme la conversation, mais qui n’a aucun droit à ce titre, je me sens affreusement honteux, je me représente ces physionomies stupides, ces riches fiancées dont le visage dit : « Ce n’est rien, tu peux approcher, tu peux oser, bien que je sois un riche parti » ; ces cours et ces flirts, ces accouplements effrontés et ces potins éternels, cette feinte, ces règles : à qui l’on doit tendre la main, à qui seulement un