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VIE ET ŒUVRE

nent ma vie. Ordinairement on regrette que la personne ne garde pas le souvenir après la mort. Quel bonheur qu’il en soit ainsi ! Quelle souffrance ce serait si, dans cette vie, je me rappelais tout ce qui tourmenta ma conscience, tout le mal que je commis dans la vie précédente ! Et si l’on se rappelle le bon, il faut aussi se rappeler tout le mauvais ! Quel bonheur que le souvenir disparaisse avec la mort et qu’il ne reste que la conscience, la conscience qui représente comme la synthèse générale de tout le mal, comme une équation compliquée réduite à sa plus simple expression : x égale une quantité positive ou négative, plus grande ou plus petite.

« Oui, l’absence du souvenir est un grand bonheur. Avec le souvenir, on ne pourrait pas vivre joyeusement. Tandis qu’avec la disparition du souvenir nous entrons dans la vie avec une page blanche, immaculée, sur laquelle nous pouvons écrire de nouveau et le bon et le mauvais. »

Il est vrai que toute ma vie n’a pas été aussi mauvaise qu’elle le fut durant une période de vingt années. Il est vrai aussi que dans cette période ma vie ne fut pas uniquement mauvaise, telle qu’elle se présentait à moi durant la maladie, et que, même pendant cette période, s’éveillaient en moi des élans vers le bien, de peu de durée, il est vrai, et bientôt étouffés par des passions sans frein. Mais néanmoins, ce travail de ma pensée, surtout pendant ma maladie, m’a montré clairement que ma