de l’adolescence et de la jeunesse, quatre sentiments faisaient le fond de mes rêves : l’amour d’elle, de la femme imaginaire dont je rêvais toujours de la même façon et qu’à chaque instant j’espérais rencontrer quelque part… Le deuxième sentiment, c’était l’amour de l’amour. Je voulais que tous me connussent et m’aimassent. Je voulais prononcer mon nom : Nicolas Irténiev, et que tous en fussent frappés, et, m’entourant, me remerciassent pour quelque chose. Le troisième sentiment, c’était l’espoir d’un bonheur extraordinaire, ambitieux ; espoir si fort et si tenace qu’il atteignait parfois jusqu’à la folie… Le quatrième sentiment, et le principal, c’était le dégoût de moi-même et le regret, mais le regret se confondant jusqu’à tel point avec l’espoir du bonheur qu’il n’avait plus rien de triste. Il me semblait si facile, si naturel de me détacher de tout ce passé transformé, d’oublier tout ce qui était et de commencer ma vie avec des relations tout à fait nouvelles, que le passé ne me pesait pas, ne me liait pas. Je trouvais même du plaisir à ce dégoût du passé et je tâchais de le voir plus sombre qu’il n’était. Plus la masse des souvenirs du passé était noire, plus le présent s’en détachait pur et clair, et plus vives devenaient les nuances de l’arc-en-ciel de l’avenir. Cette voix du regret et du désir passionné de perfection fut la principale sensation nouvelle de cette époque de mon développement moral et servit de base à mon opinion sur moi-même, sur les autres et sur l’univers. Voix bénie, consolante,
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LÉON TOLSTOÏ