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LÉON TOLSTOÏ

l’impression que produirait une pareille biographie. À ce moment je tombai malade, et pendant l’oisiveté forcée de la maladie, ma pensée retournait sans cesse à mes souvenirs, et ces souvenirs étaient terribles.

J’ai ressenti très fortement ce que dit Pouschkine dans son poème le Souvenir.

Quand pour un mortel s’apaise la journée bruyante,
Quand sur les rues muettes de la ville
Tombe l’ombre à demi transparente de la nuit,
Et descend le sommeil, récompense des travaux du jour.
Alors dans le silence se traînent pour moi
Les heures de la veille tourmentée.
Dans l’inaction nocturne brûlent en moi plus fort
Les remords vipérins de mon cœur.
Les idées bouillonnent.
Dans l’esprit opprimé par l’angoisse
Se heurtent une foule de pensées douloureuses.
Silencieusement devant moi le souvenir
Déplie son long rouleau
Et, lisant ma vie avec dégoût,
Je tremble et maudis,
Je gémis plaintivement et verse des larmes amères.
Mais je n’efface pas les tristes lignes.

« Au dernier vers je ferais seulement le changement suivant : au lieu de tristes, je mettrais honteuses. Sous cette impression j’ai écrit dans mon journal :

« 6 janvier 1903.

« J’éprouve maintenant les souffrances de l’enfer. Je me rappelle toute la lâcheté de ma vie passée, et ces souvenirs ne me quittent pas et empoison-