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VIE ET ŒUVRE

de colère. Mais voici ce qu’il était quand rien ne le mettait hors de lui. Dans notre famille, on avait pris par pitié une créature des plus étranges et pitoyables : une certaine Lubov Serguéievna, une jeune fille dont je n’ai jamais su le nom de famille. Elle était fille naturelle d’un Protassov. Comment était-elle entrée chez nous, je l’ignore, mais j’entendais qu’on la plaignait, qu’on voulait la marier à Féodor Ivanovitch, mais cela n’a pas réussi. D’abord elle vécut chez nous, mais je ne me le rappelle pas. Ensuite la tante Pélagie Ilinichna la prit chez elle à Kazan, de sorte que j’ai fait sa connaissance seulement à Kazan. C’était une créature douce, lamentable, craintive. Elle vivait dans une petite chambre ; une petite fille faisait son service. Quand je l’ai connue elle était non seulement pitoyable, mais horrible. Je ne sais quel mal elle avait, mais tout son visage était enflé, comme un visage piqué par les abeilles. On apercevait ses yeux comme deux petits trous étroits entre deux paupières gonflées, luisantes, sans cils. Ses joues, son nez, ses lèvres, sa bouche étaient aussi gonflés, luisants et jaunes. Elle parlait avec difficulté, probablement que l’intérieur de sa bouche était enflé comme l’extérieur. L’été, les mouches s’installaient sur son visage et elle ne les sentait pas, et c’était particulièrement désagréable à voir. Elle avait quelques rares cheveux noirs, et son crâne était presque nu. V.-I. Uchkov, le mari de tante, un mauvais plaisant, ne cachait pas son dé-