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VIE ET ŒUVRE

conque ou je mangeais du pain d’épices au miel acheté de mon dernier argent.

« Une autre fois, debout devant le tableau noir sur lequel je traçais avec la craie diverses figures, je fus subitement frappé d’une pensée : Pourquoi la symétrie est-elle agréable à l’œil ? Qu’est-ce que la symétrie ? — C’est un sentiment inné, me répondis-je. Sur quoi est-il basé ? Est-ce qu’en tout dans la vie, il y a une symétrie ? Au contraire, voilà la vie — et je traçai sur le tableau une figure ovale. — Après la vie l’homme passe dans l’éternité. Voilà l’éternité, et d’un côté de la figure ovale je traçai une ligne allant jusqu’au bout du tableau. Pourquoi donc de l’autre côté n’y a-t-il pas de ligne pareille ? Et en effet quelle peut-être l’éternité seulement d’un côté ? Probablement que nous avons existé avant cette vie, bien que nous en ayons tout à fait perdu le souvenir…

« Mais aucun système philosophique ne m’influença davantage que le scepticisme qui, à une certaine époque, me mena à un état voisin de la folie. Je m’imaginais qu’outre moi rien ni personne n’existait en ce monde, que les objets n’étaient pas des objets mais des images qui n’existaient que quand je faisais attention à elles, et qui disparaissaient dès que je cessais d’y penser. En un mot, je tombais d’accord avec Schelling, dans la conviction qu’il existe non des objets, mais notre rapport envers eux. Parfois, sous l’influence de cette idée obsédante, j’arrivais à un tel degré d’énervement que