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LÉON TOLSTOÏ

paraissait brillant, se termina très tristement pour la tante, mais peut-être les conséquences en furent-elles bienfaisantes pour son âme. Tante Aline, comme on l’appelait dans la famille, avait dû être attrayante, avec ses grands yeux bleus et l’expression douce de son visage pâle, telle que la représente, à seize ans, un très beau portrait.

« Presque aussitôt après le mariage, Osten-Saken partit avec sa jeune femme dans ses domaines de la Baltique, et là, s’accentua de plus en plus sa folie qui ne s’était manifestée d’abord que par une jalousie brutale et sans cause. La première année de leur mariage, quand ma tante était déjà enceinte, sa maladie s’aggrava tellement qu’il était pris, parfois, d’accès de folie complète, pendant lesquels il se croyait entouré d’ennemis voulant lui arracher sa femme et auxquels il devait échapper par la fuite. C’était l’été. Un jour, il se leva de grand matin et déclara à sa femme que le seul moyen de salut consistait à fuir, qu’il avait déjà ordonné d’atteler et qu’elle devait s’apprêter immédiatement. En effet, on avança la voiture. Il y fit monter sa femme et ordonna de partir le plus vite possible. En route il tira d’une boîte deux pistolets, en donna un à ma tante, et lui dit que, dès que les ennemis apprendraient leur fuite, ils les poursuivraient, qu’alors ils seraient perdus et n’auraient plus qu’à se tuer mutuellement.

« Ma tante, effrayée et affolée, prit le pistolet et voulut calmer son mari. Mais il ne l’écoutait pas et