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LÉON TOLSTOÏ

et à moi la possibilité de le secourir et de soulager son infortune ; et je suis prêt à tout sacrifier pour lui. Après je prends mon jouet favori, un petit lapin ou un chien en faïence. Je l’enfonce dans le coin de mon oreiller de duvet et j’admire comme il est bien là, et comme il a chaud. Je prie encore Dieu pour qu’il donne le bonheur à tous, pour que tous soient contents, et qu’il fasse beau demain pour la promenade ; je me retourne de l’autre côté, les pensées et les rêves se mêlent, se confondent, et je m’endors doucement, tranquillement, le visage encore tout mouillé de larmes.

« Candeur, insouciance, besoin d’aimer, foi de l’enfance, vous retrouverai-je jamais ? Quelle époque peut être supérieure à celle où les deux meilleures vertus, la joie innocente et le besoin illimité d’amour, sont les seuls ressorts de la vie ?

« Où sont ces prières ardentes ? Où, ce don précieux, ces larmes pures d’attendrissement ? L’ange consolateur accourait avec un sourire, essuyait les larmes et soufflait de doux rêves à l’imagination innocente de l’enfant.

« La vie a-t-elle donc laissé dans mon cœur une trace si pénible que, pour toujours, se sont éloignés de moi ces larmes et ces transports ?

« Seuls les souvenirs sont-ils donc restés[1] ? »

  1. Œuvres complètes du comte L.-N. Tolstoï. Édition Stock. T. ier, l’Enfance, pages 85-88 et 89.