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VIE ET ŒUVRE

« En dehors de son dévouement et de son honnêteté, je l’aimais particulièrement parce qu’elle et la vieille Anna Ivanovna me paraissaient les représentants du côté mystérieux de la vie du grand-père, avec son parfum d’Otchakov.

« Anna Ivanovna vivait sans travailler ; deux fois elle vint à la maison et je la vis. On disait qu’elle avait cent ans ; elle se rappelait Pougatchev. Elle avait des yeux très noirs et une seule dent. Elle avait une de ces vieillesses qui font peur aux enfants.

« Tatiana Philippovna était une jeune servante, petite, brune, aux mains potelées, elle secondait la vieille bonne Annouchka, que je me rappelle à peine, précisément parce que je ne me connus jamais sans elle. Et de même que je ne me rappelle pas ce que j’étais, je ne me rappelle pas Annouchka.

« Je me souviens de Tatiana Philippovna encore pour cette cause qu’elle fut plus tard la bonne de mes nièces et de mon fils aîné. C’était une de ces créatures touchantes, issues du peuple, qui s’habituaient tant à la famille de leurs maîtres qu’elles y mettaient tous leurs intérêts et ne laissaient pour leurs parents que la possibilité de mendier et d’hériter de l’argent qu’elles avaient gagné. Toujours elles ont des frères, des maris ou des fils dépensiers. Tels étaient, autant que je m’en souviens, le mari et le fils de Tatiana Philippovna.

« Je me rappelle avec quelle souffrance résignée