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LÉON TOLSTOÏ

chez lui des petits cochons à la queue en tire-bouchon qu’on disposa sur un grand plateau dans l’office. Témiachev, Pirogovo et les petits cochons s’unissaient pour moi en une seule image.

« En outre Témiachev nous était mémorable parce qu’il jouait dans la salle un motif de danse quelconque (le seul morceau qu’il sût jouer) et nous forçait à danser aux sons de cette musique. Quand nous demandions ce qu’il fallait danser, il nous répondait qu’avec cette musique on pouvait danser toutes les danses, et nous aimions à en profiter.

« Un soir d’hiver, nous venions de prendre le thé, nous devions bientôt aller au lit et mes yeux commençaient à se fermer. Tout à coup, de l’office quelqu’un entra au salon où tous étaient réunis, et où brûlaient deux bougies, si bien qu’on était dans une demi-obscurité. Il entra par la grande porte ouverte, d’un pas rapide, en bottes souples, et, arrivé au milieu du salon, il tomba à genoux. Sa longue pipe allumée, qu’il tenait à la main, se heurta contre le parquet, et des étincelles jaillirent et éclairèrent le visage de l’homme prosterné : c’était Témiachev. Je ne me rappelle pas ce qu’il dit à mon père en tombant à genoux devant lui. J’appris seulement plus tard qu’il s’était ainsi prosterné devant mon père, parce qu’il avait amené avec lui sa fille naturelle Dounietchka, dont il avait déjà parlé à mon père, pour que mon père la fasse élever avec ses enfants.

« De ce jour parut chez nous une fillette de mon