Un autre personnage de l’Enfance, l’innocent Gricha, bien qu’en partie imaginaire, porte indiscutablement quelques traits pris sur le vif, qui ont laissé en l’âme de l’enfant une trace profonde. Léon Nikolaiévitch lui consacre ces lignes touchantes en racontant la prière du soir qu’il avait entendue de lui : « Ces paroles étaient incohérentes, mais touchantes. Il priait pour tous ses bienfaiteurs (il appelait ainsi tous ceux qui le recevaient) et entre autres pour maman, pour nous. Puis il pria pour lui-même, demanda à Dieu le pardon de ses péchés et répéta : « Dieu, pardonne à mes ennemis ! » En geignant, il se leva et répéta encore et encore les mêmes paroles, se prosterna à terre et de nouveau se releva, malgré le poids des chaînes qui, en frappant la terre, faisaient un bruit sec, métallique… Gricha resta encore longtemps dans cet état d’extase religieuse, improvisant des prières. Tantôt il répétait plusieurs fois de suite : Seigneur, aie pitié de nous, mais chaque fois avec plus de force et d’expression ; tantôt il disait : Pardonne-moi, Seigneur, enseigne~moi ce qu’il faut faire… enseigne-moi ce qu’il faut faire, ô Seigneur ! avec expression, comme s’il eût attendu la réponse immédiate à ses paroles ; tantôt on n’entendait que des sanglots plaintifs… Il se releva, croisa ses bras sur sa poitrine et se tut…
… « Que ta volonté soit faite ! s’exclama-t-il subitement avec une expression inimitable, et il se prosterna, le front à terre et pleura comme un enfant.