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VIE ET ŒUVRE

tenait envers eux comme une dame. Quand, avec ses dépouilles mortelles, on traversa le village, de toutes les maisons sortirent des paysans et ils firent dire des prières. Son trait principal c’était l’amour, mais je dois dire à mon regret que c’était l’amour pour un seul homme, pour mon père. Ce n’est qu’en s’irradiant de ce centre que son amour s’étendait sur tous. On sentait qu’en nous elle n’aimait que lui, et elle aimait tous parce que toute sa vie n’était qu’amour.

« Par son amour elle avait sur nous les plus grands droits, mais nos tantes, surtout Pélagie Ilinichna, qui nous emmena à Kazan, avait des droits légaux et Tatiana Alexandrovna s’y soumit. Mais son amour n’en faiblit pas. Elle vécut alors chez sa sœur, la comtesse L.-A. Tolstoï, mais son cœur était avec nous, et dès qu’elle le pouvait elle venait nous rejoindre. Elle passa les vingt dernières années de sa vie avec moi à Iasnaia Poliana et ce fut pour moi un grand bonheur. Mais nous ne savions pas l’apprécier, d’autant plus que le vrai bonheur n’est jamais ni éclatant, ni remarqué. Je l’appréciais, mais pas suffisamment. Elle aimait à avoir dans sa chambre, en divers pots, des sucreries, des raisins, des gâteaux, des dattes ; elle aimait à acheter de tout cela et à m’en régaler le premier ; je ne puis oublier ni me rappeler sans de cruels remords que plusieurs fois je lui refusai de l’argent pour cela, tandis qu’elle, soupirant tristement, se taisait. Il est vrai qu’alors j’étais gêné,