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LÉON TOLSTOÏ

Séméonovna Skouratova, qui fut très puissante et célèbre dans tout le district de Tchérnsk, et ma grand’mère, résolurent de les élever. On fit des petits billets qu’on plaça sous les icônes, et après, on tira au sort : Lise alla chez Tatiana Séméonovna et la petite brunette chez ma grand-mère. Tanietchka, comme on l’appelait chez nous, était de l’âge de mon père ; elle était née en 1795. Elle fut élevée sur un pied d’égalité parfaite avec mes tantes, et tous l’aimaient tendrement. On ne pouvait, en effet, ne pas l’aimer, vu la fermeté, la résolution, la droiture de son caractère et, en même temps, son abnégation. Le fait suivant, qu’elle nous raconta en nous montrant une longue trace de brûlure sur l’avant-bras, donne une idée de son caractère : Encore enfants, elles avaient lu l’histoire de Muscius Scévola, et discutaient qu’aucune d’elles ne se déciderait à en faire autant. — « Moi… je le ferai ! » dit-elle. — « Tu ne le feras pas ! » dit Iazikov, mon parrain, et, ce qui est aussi très caractéristique pour lui, il enflamma à la bougie une règle qui était toute noircie et fumée. — « Tiens, mets-la sur ton bras », dit-il. Elle tendit son bras blanc (les fillettes étaient toujours décolletées et bras nus) et Iazikov y posa la règle. Elle fronça les sourcils, mais ne retira pas son bras, et elle ne poussa un gémissement que quand la règle avec la peau se détacha de son bras. Quand les grands, voyant sa blessure, lui demandèrent comment elle s’était fait cela, elle leur répondit qu’elle l’avait fait