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au témoignage unanime des chroniqueurs, le don de remuer, d’entraîner les foules ; mais il savait profiter de l’influence qu’elle lui assurait, pour conduire le peuple d’après les plans d’une politique habile, et non pour le pousser en aveugle dans de sanglantes échauffourées.

Le moment où, pour la première fois, il apparaît sur la scène politique était d’ailleurs des plus favorables aux projets dont il allait poursuivre la réalisation. Encore sous le coup d’événements récents, le patriciat et le clergé liégeois s’observaient alors avec défiance et se portaient réciproquement une sourde inimité. Le peuple restait neutre entre les deux ; mais, d’un côté comme de l’autre, on comprenait quel puissant auxiliaire on trouverait en lui, si on parvenait à se l’attacher. Henri sut profiter de cette situation avec une adresse toute diplomatique. Persuadé que les échevins, ennemis naturels des gens de métiers ne feraient jamais droit spontanément aux revendications même les plus justes de ceux-ci, il résolut de spéculer, au profit de la cause populaire, sur la nécessité où ils étaient de se trouver des alliés. Il leur fit donc de secrètes avances, leur offrant, en retour de quelques concessions à la démocratie, l’alliance des gens de métiers contre l’élu de Liège, Henri de Gueldre. Cette manœuvre fut couronnée de succès. Les échevins consentirent, en effet, à laisser nommer par le peuple les deux maîtres à temps, qui jusque-là se recrutaient exclusivement dans les rangs du patriciat urbain. Le 24 juin 1253, Henri fut élu, et avec lui un personnage dont une tradition peu sûre nous a seule conservé le nom, Jean le Germeau.

Le clergé accueillit cette élection avec faveur. Il lui souriait de voir les gens de métiers, s’affranchissant du joug des échevins, miner l’autorité de cette puissance rivale ; aussi ne cacha-t-elle pas ses sympathies aux deux nouveaux maîtres à temps. C’est là ce qu’attendait Henri. Fort désormais de l’appui du chapitre, il va dévoiler ses plans, jeter subitement le masque et hautement affirmer qu’il ne se contentera pas de quelques concessions, qu’il lui faut un changement radical dans la constitution de la commune. Il commence par prêter serment de fidélité au peuple, contraint les jurés à en faire autant, puis, enhardi par le succès, va jusqu’à sommer les échevins eux-mêmes de s’associer à cette innovation.

Ceux-ci comprirent alors la faute qu’ils avaient commise en se rapprochant de Henri. Ils refusèrent avec hauteur de prêter serment. Refus inutile et tardif qui ne servit qu’à pousser plus avant encore le tribun dans la voie où il s’était engagé. Dès lors, en effet, il lui était impossible de se dissimuler que l’heure de la lutte ne tarderait pas à sonner, et son devoir le plus impérieux lui commandait de mettre aussitôt la commune en état d’éviter un coup de main et de résister avec avantage à ses ennemis. Une compagnie de vingt hommes fut donc établie dans chacun des six vinâves de la cité, avec ordre de réunir le peuple en cas d’assemblée générale, de l’organiser et de le diriger s’il fallait courir aux armes.

Si l’antagonisme entre les échevins et le clergé liégeois avait continué d’exister, il est possible que, dès le xiiie siècle, la démocratie eût été fondée définitivement à Liège par Henri de Dinant. Malheureusement, il n’en fut pas ainsi. Il arriva que l’évêque eut besoin de l’appui des échevins ; un rapprochement eut lieu, puis une alliance, et le peuple, de nouveau se trouva seul contre deux adversaires. Une demande de secours adressée à Henri de Gueldre par le comte de Hainaut, son vassal, fut la cause de ce changement imprévu dans la situation politique de Liège. Alléchés par l’offre de prébendes pour leurs fils et sans doute aussi désireux de se venger du peuple, les échevins, au nom de l’évêque, proclamèrent l’ost au perron. Soit qu’il vît dans cette proclamation une manœuvre politique, soit que, trop confiant désormais dans ses propres forces, il ne craignît plus d’indisposer l’évêque, Henri de Dinant s’opposa à l’enrôlement des gens de métiers, alléguant que ce n’était pas pour des in-